En juin 1946, quelques jours seulement après le referendum instaurant la République en Italie, deux expositions italiennes sont présentées à Paris.
La première, l’exposition de la Résistance italienne est présentée à l’École des Beaux-Arts en bord de Seine du 14 au 26 juin 1946. Elle se compose de 135 panneaux de 120 x 120cm et de deux maquettes. Pour la première fois, textes et images composent un discours destiné à un public étranger. Le contexte des négociations pour la paix qui se tiennent au même moment à Paris accentue ses enjeux diplomatiques : l’exposition est porteuse de la voix de la nouvelle Italie sur la scène internationale. Il s’agit de poursuivre l’action entreprise dans la zone de frontière (où l’exposition avait été présentée à Grenoble et à Nice en octobre et novembre 1945 comme exposition de la Résistance piémontaise (elle-même présentée à Turin au début de l’année 1945)) pour transformer l’image des Italiens et de l’Italie. Cette fois-ci, la manifestation se déroule à Paris visant un public élargi et un retentissement diplomatique auprès des grandes puissances réunies pour les traités de paix. Dans cette démarche, l’Italie partisane bénéficie du soutien du CNR de Saillant qui a accueilli favorablement le projet d’exposition et qui organise, aux mêmes dates, une conférence européenne de la Résistance à laquelle participe aussi l’Italie. Par conséquent, l’un des premiers objectifs visés par la manifestation est le remplacement dans l’opinion publique d’une représentation de l’Italie liée au régime de Mussolini par celle d’une Italie antifasciste et démocratique. L’exposition doit d’abord lutter contre le caractère très fragmenté et territorialisé de la résistance italienne pour démontrer sa cohésion morale et son unité d’action face au fascisme. Son comité d’organisation repose sur trois grandes figures de la résistance italienne représentatives des différents acteurs de la Libération : Raffaele Cadorna, général et commandant en chef du CVL pour l’armée, Ferruccio Parri premier président du conseil de juin à décembre 1945 pour le parti d’action, et Luigi Longo pour le parti communiste. Une autre manœuvre employée pour dissimuler une rhétorique partisane qui pourrait apparaître trop forte à l’étranger consiste à s’appuyer sur les données chiffrées qui affichent un caractère objectif. L’exposition se conclue sur une apostrophe aux « amis d’outre-frontière » et aux « historiens de demain ». Son objectif principal est bien celui de remplacer « cette image d’une Italie à punir » par celle d’une Italie digne de « confiance » sur la scène internationale.
La seconde est une exposition d’art organisée par le cercle artistique de l’Italia Libera en juin 1946. L’Italia libera (Unione per la Democrazia e l’Amicizia Franco-Italiana) est le nom pris par le mouvement des partisans italiens en France à la suppression du Comitato italiano di liberazione nazionale (CILN). En avril 1947, ce mouvement devient une association reconnue par le gouvernement français. Seconde exposition du cercle artistique (créé en décembre 1944 par le CILN), l’exposition de 1946 a comme principale caractéristique d’associer aux côtés d’œuvres italiennes, les productions d’artistes français, répondant ainsi, à la volonté de « rapprochement franco-italien » exprimée par l’écrivain Paul Sentenac lors de l’exposition inaugurale du centre (en 1945). Elle est placée sous les hauts patronages du consul d’Italie à Paris et de Jean Cassou, directeur du musée national d’Art moderne. L’exposition est installée dans les locaux d’Italia Libera, au 32 rue de Babylone, proche du consulat. Réunissant artistes français et italiens elle insiste dans sa présentation sur le lien historique et l’héritage artistique commun : « des audaces analogues » et « des disciplines semblables ». France et Italie sont, comme dans l’entre-deux-guerres, présentées comme des « nations latines ». La latinité et la communauté culturelle mises en évidence dans les années 1930 se retrouvent donc, une nouvelle fois, au service de leur rapprochement politique.
Avec une cinquantaine d’artistes, l’exposition recouvre une grande diversité d’œuvres, de courants artistiques (surréalistes, art abstrait, art figuratif) et de sujets (art sacré, natures mortes, paysages, marionnettes et personnages de la Commedia dell’Arte, etc.). La pluralité artistique est, en effet, souhaitée par la commission de sélection, présidée par le secrétaire Varese, et les représentants français et italiens qui veulent ainsi se protéger de tout « parti pris » en matière artistique. Les artistes italiens sont majoritairement ceux du cercle de Paris (sculpture de Flaminio Bertoni, deux tableaux de De Chirico, Pino della Selva, etc.) complétés par quelques envois d’Italie. Parmi les artistes français, signalons les participations d’Utrillo en peinture et d’Osouf en sculpture.
Les enjeux politiques qui soutiennent ces manifestations culturelles sont patents : la culture est ici appelée à servir la nouvelle diplomatie italienne – et notamment son rapprochement avec la France de De Gaulle – à une étape où elle se trouve elle-même en pleine transition institutionnelle. En effet, le nouvel organe chargé de conduire la diplomatie culturelle après-guerre, la Direzione Generale per le Relazioni Culturali du ministère des Affaires étrangères, créée en 1946 ne commence réellement à fonctionner qu’à partir de 1947. Les manifestations promues à l’étranger en 1946 sont donc l’entreprise des œuvres partisanes sous couvert d’un certain contrôle diplomatique, notamment de l’ambassade qui prendra peu à peu la main, au cours de 1947 et de façon décisive en 1948, sur ce genre d’initiatives. Car l’année 1948 recueille les effets du tournant mondial de 1947 et entraîne définitivement les relations franco-italiennes dans une nouvelle voie, européenne. L’évolution de leurs gouvernements respectifs, avec le renvoi de leurs adversaires, permet la mise en place d’un rapprochement plus décisif, libéré des tensions de l’immédiat après-guerre. Ces opposants ne sont pas seulement les partis communistes français et italiens, exclus des gouvernements en 1947, mais aussi, côté français, les gaullistes du RPF et, côté italien, l’association partisane Italia Libera, dissoute à la fin de l’année 1948. Ces départs ne sont pas sans conséquence sur le plan culturel. L’Italia Libera avait été l’un des principaux promoteurs de la reprise des échanges artistiques entre la France et l’Italie. Cette association qui s’installe à la Libération dans les locaux libérés par la chute du fascisme – et notamment à Marseille au sein de l’ancienne Casa d’Italia –, se voit ainsi renvoyée par un gouvernement italien qui prend désormais les rênes des actions artistiques et sociales ainsi que la pleine possession de ces lieux afin d’y installer ses représentations diplomatiques et culturelles.
Ce projet de recherche souhaite développer l’étude de ces manifestations culturelles italiennes dans la France de l’immédiat après-guerre. Parmi les objets que nous souhaiterions approfondir : le lien entre l’exposition de la Résistance italienne présentée aux Beaux-Arts et la conférence européenne de la Résistance organisée par Saillant (Archives CNRS Saillant, Paris), son contenu en termes de discours et d’images (abordé dans la thèse il faudrait l’approfondir notamment à partir des archives de l’Insmli, Milan) et sa réception (archives de police de Paris, archives de l’Intérieur (surveillance), peu couverte dans la presse). Enfin, si l’exposition de la Résistance italienne présentée à Paris en 1946 ne semble pas affrontée directement la question du (trop) récent Referendum et de la République, nous nous interrogeons sur ses éventuelles modifications ultérieures pour sa présentation (annulée) à Bordeaux à la fin de l’année 1946 et en Suisse au cours de l’année 1947. Le volet artistique pose en revanche la question de la récupération politique des artistes et des œuvres, de leur parcours et de leur engagement dans un réseau franco-italien. Enfin, du message et des responsables italiens porteurs de ce message, dans la transition institutionnelle du fascisme à la République en passant par les organisations partisanes à l’étranger avec une attention particulière pour l’étude de l’association « Italia Libera ».